vendredi 5 avril 2013

Indomptable cheval de bataille (THEÂTRE)



Dans un décor de cirque ambulant, cinq comédiens déjantés sont venus nous conter une fable vieille de deux siècles. Celle de Michael Kohlhaas, un honnête marchand qui, escroqué par un seigneur, ne parviendra pas à faire valoir son droit et à obtenir réparation. Victime de l'injustice, l'homme sombre dans une folie destructrice, devient prêt à tout pour se venger. Vous a-t-on déjà parlé de barbarie sous un chapiteau, fait rire de la cruauté sans bornes des puissants, fait frémir au son de la flûte de bec et de la boîte à meuh ? A l'affiche : Kohlhaas est un spectacle atypique, résolument surprenant, qui ne laissera personne indifférent.




Quelques notes d'accordéon, un cri de ralliement, un ouvreur avec ses badges souvenirs personnalisés, nous voici entrés dans la caravane foraine de l'Agora Theater. Dès les premières minutes, la troupe de saltimbanques révèle de multiples talents, jongle avec les milles recettes du théâtre populaire pour nous donner à voir la folie du monde qui nous entoure. Théâtre d'ombres, musique, farce, cirque, marionnettes, tous les moyens sont bons pour embarquer le public dans des questionnements existentiels avec une simplicité et un humour déconcertants. C'est là toute la magie de cette tragédie "grand public" de bric et de broc, morcelée, participative, qui saura toucher et éberluer tous les spectateurs (à partir de 15 ans).

Michael Kohlhaas, honnête marchand de chevaux qui a choisi une vie bourgeoise et religieuse, croise un jour sur son chemin un odieux seigneur en mal d'abus de pouvoir. Confiant en son bon droit, il essaye par tous les moyens d'obtenir réparation mais ne se heurte qu'à la cruauté et la bêtise des hommes. Son désir de justice infaillible le pousse alors aux commandes d'une révolution sanglante, criminelle.

Chaque saynète à l'allure innocente déclenche un torrent de questionnements : la violence est-elle un moyen pour l'exercice du pouvoir, ou le pouvoir est-il un catalyseur de la barbarie qui nous habite tous ? Quelle fin pourrait justifier à nos yeux de tels moyens ? Quels crimes sommes-nous capables de tolérer, de commettre pour porter haut nos convictions profondes ?

Le spectacle est l'occasion d'expérimenter nos propres limites, de les éprouver. Lorsque la femme de Kohlhaas se rend auprès des hautes autorités pour défendre sa cause, elle subit les moqueries d'un gardien joueur. On rit de bon cœur devant ses petites taquineries. On ricane encore lorsque la dame est ridicule, humiliée. On pouffe toujours, malgré soi, quand le clown joue avec sa victime déjà à terre. Ce n'est qu'à la vue du sang que le public réalise l'extrême violence de la scène à laquelle il vient d'assister. 

Si le concept semble finalement plaire davantage aux adultes qu'aux adolescents, mes jeunes voisins ayant peu ri et donc moins vécu la puissance des retournements de situation, c'est plusieurs jours après que l'on perçoit les vrais effets du spectacle. Difficile de se débarrasser de l'histoire de Kohlhaas, qui nous trotte encore dans la tête par le biais d'un gentil air de flûte, par la puissance des tambours de la révolution, ou par ce malaise, cette sensation coriace, de ne plus vraiment savoir avec certitude ce qui est juste, ce qui est légitime.


A l'affiche : Kohlhaas, adaptation libre d'apres Heinrich von Kleist avec des poèmes de Erich Mühsam, une co-production du Théâtre AGORA et du Theater Marabu (Bonn|D)
Toutes les dates ici.

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