lundi 3 juin 2013

Rencontre littéraire du 4ème type


En 1884, Edwin A. Abbott, professeur et théologien anglais, écrit Flatland, a romance of many dimensions. Cent vingt-huit ans plus tard, ce bouquin énigmatique aux allures de traité de géométrie est traduit en français par Philippe Blanchard et réédité chez Zones sensibles. Simple petit carnet de croquis en noir et blanc, agrémenté de calligrammes, Flatland nous emmène en quelques pages à la conquête du Monde.




Un esprit trop carré


Flatland, c'est l'histoire d'un carré, dont le monde en deux dimensions va être bouleversé par sa rencontre avec une figure sphérique. Il va devoir surmonter sa peur, sa colère, et les limites de son raisonnement pour accepter qu'il existe d'autres mondes, composés de réalités qui le dépassent. "Pour lui, en dehors de son Monde, ou Ligne, tout n'était que vide ; nenni, pas même vide, car le vide implique l'Espace ; disons plutôt que tout était non existant."

Car qu'est-ce que le monde, sinon un espace délimité, peuplé d'êtres limités, qui ont pour objectif d'y cadrer leur existence, d'y dessiner des normes ? Une réalité étriquée en somme, que l'on arpente de long en large, mais souvent sans regarder au travers.



Dans la première partie de son récit, intitulée Notre Monde, le Carré esquisse le fonctionnement de sa société dans les grandes lignes. "Nos femmes sont des Droites. Nos Soldats et nos Ouvriers de la classe inférieure sont des Triangles à deux côtés égaux. [...] Notre Bourgeoisie est constituée de Triangles équilatéraux [...] Les Intellectuels et les Gentilshommes sont des Carrés (classe à laquelle j'appartiens) et des figures à cinq côtés ou Pentagones. Juste au-dessus d'eux se trouve la Noblesse, qui comporte plusieurs degrés ascendants, par accroissement du nombre de côtés [...] Finalement, quand le nombre de côtés devient trop important et que les côtés eux-mêmes sont si petits qu'on ne peut plus distinguer la figure d'un Cercle, on entre dans l'ordre Circulaire ou ordre des Prêtres, qui est la plus haute classe."

Par le biais de ce système géométrico-social, le Carré nous donne à (re)penser nos attirails de lois sécuritaires, nos échelles sociales, soi-disant justifiées par des configurations dites "naturelles", la tentation de l'eugénisme, les dangers d'une société qui seraient parvenue à éradiquer l'irrégularité, et ainsi toute forme d'art, d'expression, de liberté.


Vers l'infini et l'au-delà


Mais dans quel monde vit-on ? direz-vous. Tout est une question de point de vue. Flatland, récit allégorique, nous exhorte à prendre de la hauteur. « Être autosatisfait, c’est être vil et ignorant, et aspirer à autre chose vaut mieux qu’un bonheur impuissant et aveugle. » Cependant le voyage vers ces Autres Mondes possibles n'est pas de tout repos.


La première étape de l'épopée du Carré est onirique. Il visite en rêve un monde d'une dimension en dessous du sien : le Royaume de la Ligne. Il y rencontre un Roi borné, effrayé de cette intrusion extra-lignesque qui s'amuse de son ignorance et maltraite ses idées reçues. Et face à la force du dogme, l'analogie et la pédagogie sont peu de choses. Le temps de parole du trouble fête est compté, et sa mise à mort rapidement réclamée. 



Lorsque le Carré reçoit à son tour une visite de l'au-delà, il devient lui-même l'ignorant, désarçonné devant l'univers infini qui l'entoure. « Ou je suis fou ou je suis en enfer ! Ni l’un ni l’autre, répondit calmement la voix de la sphère ? C’est la Connaissance… » Après un court séjour en Spaceland au côté de la sphère, le Carré ne sera plus jamais la même figure en son plat pays. Il ne pourra oublier ce qu'il a découvert, et n'aura de cesse d'aspirer à explorer davantage. 

Flatland, petite science fiction allégée, est en réalité un véritable manuel de philosophie, à la fois atemporelle et applicable dans tous les mondes, connus et moins connus ! En vente ici, et (entre autres).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire